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mardi 1 janvier 2013

Da Cunha: le regard réfléchi

Amaury da Cunha
All rights reserved©Amaury da Cunha

Amaury da Cunha a été qualifié d’« étoile montante de la photographie française » pendant le Mois de la Photo en novembre dernier alors que l’Espace Lhomond accueillait Après tout, sa première exposition solo à Paris. « C’est mieux qu’étoile filante », avait commenté le photographe, au lendemain de ce bel augure médiatique. L’artiste ne manque pas d’esprit ni de lettres d’ailleurs, d'autant que son travail « oscille entre l’image et l’écriture ».

Son goût de la poésie et son intérêt pour la psychanalyse marquent sa photographie et sa prose où se reconnaît un monde autre, le sien, le monde tel qu’il vit, rêve, se métamorphose et meurt en lui, qu’il transmet sur un ton flirtant volontiers avec l'absurde poétique beckettien, à faire rire et pleurer à la fois. 

Pourvu que « quelqu’un puisse entendre ce qu’il dit tout bas dans une photographie »*. Il s’évoque parfois à la troisième personne, marque une distance avec lui-même, juste parce qu’il la juge nécessaire, sans complaisance, et même avec dérision. Ses images, qu’il arrache à l’instant ou qu’il met en scène, semblent des détails échappés de visions, de rêveries et de cauchemars. « Je sauve les rêves en plein jour en les photographiant »* L’écriture est leur autre sauvegarde.

Diplômé de l’Ecole nationale supérieure de photographie d’Arles - « marquée par l’affirmation du statut de l’auteur et sa subjectivité », comme le notait le commissaire de l’exposition, Rémi Coignet - Amaury da Cunha, avec Saccades (Ed. Yellow Now) publié en 2009, recueil de photographies et de textes fragmentaires, confirmait un regard intimiste en même temps qu’une voix intérieure complice. 

Saccades résonnait de l’innocence enchantée de l’enfance dont il reste nostalgique. « L’étonnement face au monde », selon les mots de Rémi Coignet.

Amaury Neige
All rights reserved©Amaury da Cunha

« Quand il photographie, il ne perçoit aucune étendue, juste des fragments, des bouts de choses. Quant aux phrases, c’est exactement la même chose. »* C’est lui qui le dit et c’est vrai. Mais cet aspect fragmentaire n’explique pas la surprise que chaque image, chaque phrase produit immanquablement. La raison du saisissement n’est pas formelle, elle est plus grave, elle est plus belle. Elle est fondamentale. C’est la confession d’une blessure, d’un dilemme, d’un manque, d’un désir ou d’un dégoût qui éclate au cœur de chaque fragment, l’aveu des tourments du regard, de l’émotion, de la pensée. 

L’expulsion des énigmes insolubles qui hantent l'esprit et qui y reviennent sans doute sous d’autres déguisements. Ses vues de l'esprit, fragments de visibilité instantanée, où toujours se traque un angle d'invisibilité cruciale. Sa vision est intime, souvent autobiographique, autofictionnelle parfois, toujours de portée universelle.


Amaury_1
All rights reserved©Amaury da Cunha

Après tout est une œuvre de désenchantement, de mélancolie, tissée d'illusions perdues. « La tonalité d'Après tout s'assombrit et l'étonnement laisse place à la sidération », remarquait aussi Rémi Coignet. 

Le regard de l’artiste se détourne des jeux d'enfant, de la témérité engagée sur les toboggans d'autrefois, sait qu'il faut se pencher sur l'abîme et les méandres du temps désormais pressé. Et il s’attarde avec la gravité subtile qui le caractérise sur les traces que les présences ont laissées derrière elles, les preuves de passage des êtres et du temps, l’érosion des choses et des existences. Punctum. Le cou tout gravé de rides, les chevelures blanches accouplées, le manteau abandonné sous la neige, la pâle figure comble la trouée dans la verdure, la vache morte ensablée. La mer de marbre funeste, telle une pierre tombale, engloutit. La perte des repères, la confusion de l'abscisse et de l'ordonnée.

Il signale la disparition, accuse l’absence. L’atmosphère a pris l’épaisseur de la matière existentielle. Le désir chancelle, l’amour se détourne, la gravité tue, la tragédie aveugle.

« Encore des photos, les yeux empêchés. »* Encore des mots, la mort à la ligne.

Ses yeux pansés. - Œdipe !, s’empresse d'expliquer le photographe. La vrai-fausse piste freudienne à ne pas suivre les yeux fermés, il n'est pas exclu qu'il sème des leurres. La blessure du regard soignée pour voir encore ou le refus résolu de continuer à observer dehors. Le regardeur tout tourné vers l'intérieur pour une fois. Lacan entendrait mieux les yeux pensés, la perspective piège vue du divan, la nécessité du regard réfléchi.  

Rue Quicampoix -ADC
All rights reserved©Amaury da Cunha

 *in Après Tout, un beau livre également d'Amaury da Cunha, photographie et texte, français et anglais (Ed. Le Caillou Bleu), publié à l’occasion de l’exposition parisienne à l’Espace Lhomond pendant le Mois de la Photo 2012.