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jeudi 10 avril 2008

Tango, chant d'amour et de mort mêlés

Tango de bajo fondo - Auteur non identifié

H
e vuelto a aquel banco del Parque Lezama. 
Lo mismo que entonces se oye en la noche la sorda sirena de un barco lejano. Mis ojos nublados, te buscan en vano. Despues de diez años he vuelto aqui solo, sonando aquel tiempo, oyendo aquel barco. El tiempo y la lluvia, el viento y la muerte ya todo llevaron, ya nada dejaron. 
En que soledades de hondos dolores, en cuales regiones de negros malvones estas, Alejandra? Por cuales caminos, con grave tristeza, oh, muerta princesa?

Une petite foule se presse là en cette belle nuit d'automne australe sur le trottoir de Buenos Aires et tangue sur ce chant d'amour et de mort mêlées d'Ernesto Sabato pleurant Alejandra, au son du bandonéon d'Anibal Troila. L'hidalgo aux cheveux noirs gominés, costume noir cintré, le port de tête altier, entraîne l'élégante, à la taille fine et cambrée, enlacée, dont la robe rouge et légère virevolte sur ses jambes galbées et gainées de bas résilles.

Sur cette place au bord du Maldonado, au coeur du quartier de Palermo où Jorge Luis Borges a passé son enfance, et qui ne ressemble plus guère à ce "vieux quartier (...) des terrains vagues et du couteau", le souvenir demeure accroché à ce pas de deux évoluant là, sous nos yeux. La mémoire du bajo fondo, des mauvais garçons et des bordels que tout porteño sent vibrer sous sa peau. Le tango.

Tango que he visto bailar contra un ocaso amarillopor quienes eran capacesde otro baile, el del cuchillo.Tango de aquel Maldonado con menos agua que barro,Tango silbado al pasardesde el pescante del carro.
Despreocupado y zafado,siempre mirabas de frente.Tango que fuiste la dicha de ser hombre y ser valiente.Tango que fuiste feliz, como yo también lo he sido,según me cuenta el recuerdo;el recuerdo fue el olvido.
Desde ese ayer, ¡cuántas cosasa los dos nos han pasado!Las partidas y el pesarde amar y no ser amado.Yo habré muerto y seguirásorillando nuestra vida.Buenos Aires no te olvida, tango que fuiste y serás. 

Astor Piazzola a su mettre en musique cet Alguien le dice al tango de Borges, lui, qui pourtant n'aimait pas le son du bandonéon, et goûtait davantage la milonga-tango, interprétée au piano et au violon ainsi qu'il l'affirmait à Sabato, dans ces savoureux Dialogues que leur compatriote Orlando Barone avait eu la belle idée de convoquer en 1974 et 1975.

Le tango pour les deux écrivains, à l'instar de tout natif de la pampa, de part et d'autre du Rio de la Plata, est sujet incontournable.

Borges n'aimait guère non plus le lunfardo, l'argot des faubourgs portenos émaillant souvent les chants du tango et rappelle à Sabato qu'il a lui-même écrit quelques milongas : "parce que je les aime".

"La milonga est vive. Le tango, en revanche..."

Oui, Sabato qui dédia à Borges son essai Tangodiscusion y clave, sait bien que la sensiblerie dont le tango dégouline trop souvent déplaît au maître. "Mais tous les tangos ne sont pas ainsi. Certains ont chanté avec austérité, la mort, la solitude et la nostalgie".

Dans la préface de Tango de Horacio Salas, Sabato accusera en outre certains "penseurs argentins" d'avoir à tort "assimilé le tango au sexe" et de le réduire à une "simple danse lascive". 

Or, à ses yeux, "c'est exactement l'inverse. Il est certain que le tango est né dans les lupanars, mais cette constatation doit nous faire supposer qu'il est quelque chose comme son contraire car la création artistique est un acte presque invariablement antagonique: un acte de fuite ou de rébellion. On crée ce que l'on a pas, ce qui d'une certaine façon est objet de notre désir profond et de notre espérance [...]

Dialogos Borges/Sabato, compaginados por Orlando Barone (éd. emecé)

Traduction des citations par Zoé Balthus